Une rivière qui a mal

Cette semaine, je troque la bière pour un symbolique verre d’eau.  Je ne suis pas un activiste, je manifeste rarement, mais je ne peux pas me taire devant ce qui me fait mal.  Voici la lettre que je viens d’achemier à monsieur Jean-François Houle, Responsable du service de la conservation et de l’éducation du Parc National de Plaisance.  J’espère que mes observations pourront aider à la préservation d’une petite portion de la rivière Outaouais qui se trouve à l’intérieur des limites du parc.


 

Bonjour M. Houle,

La saison de camping est terminée depuis peu et surement déjà êtes-vous à préparer l’ouverture printanière 2016. Je fréquente Plaisance depuis une bonne vingtaine d’années, c’est-à-dire depuis l’époque de la réserve faunique. Au fil des ans, surtout depuis la création du Parc National en 2002, j’ai été témoin de l’évolution de certains milieux et de nombreux changements dans l’aménagement du territoire. J’aimerais par la présente vous faire part d’une situation qui aujourd’hui me préoccupe grandement, l’eutrophisation accélérée de l’extrémité Est de la Baie Parisien.

Je fais du camping au parc depuis plusieurs années, mais de façon plus assidue depuis 6 ans. En effet, depuis 2009, à tous les étés mon beau-père et moi avons pris habitude de profiter d’une fin de semaine de camping au printemps et d’une autre fin de semaine à l’automne. Nous pratiquons la pêche sportive en kayak dans les eaux de la rivière Outaouais, plus spécifiquement dans la Baie Parisien.

Nous réservons habituellement un site dans le secteur « La Baie », parce que nous pouvons sauter dans notre kayak à quelques pas de notre tente. Nos fin de semaines de préférées sont habituellement la première fin de semaine de juin pour la pêche au brochet et la fin de semaine qui précède celle de l’Action de Grâce, en octobre, pour la pèche à l’achigan et au brochet. Notre endroit de prédilection pour la pêche; l’extrémité Est de la Baie Parisien. Dans nos désormais classiques de pêches, quelle frénésie, à chaque escapade en kayak, de contourner la pointe qui mène vers celle que nous appelons « NOTRE baie », elle qui nous a toujours accueillis comme si nous étions de vieux amis.

Il y a 6 ans, en juin 2009, je me souviens que nous avions pu nous rendre tout au fond de la baie, à proximité de la Montée Chartrand. Nous y avions pris quelques beaux brochets. À l’automne, les hautes herbes nous stoppaient à environ 100 mètres du fond de la baie, mais la pêche était excellente partout ailleurs dans la baie. Nous avions la chance de prendre plusieurs poissons et ce, d’une grande variété d’espèces (doré, brochet, achigan à grande bouche, perchaude, crapet, barbotte, marigane noire). D’année en année, nous avons été témoins de l’emprise de la végétation sur le milieu aquatique. À chaque saison, la baie se fait de plus en plus courte, de plus en plus envahie. L’eau y est de moins en moins profonde puisque l’épais couvert végétal estival se décompose pendant la saison froide et se pose sur le fond. On y prend moins de poissons, moins d’espèces et les poissions que nous prenons sont de plus en pus petits.

Jusqu’au printemps 2014, bien que dégradante, la situation ne nous semblait toutefois pas alarmante. À l’automne 2014, pour la première fois, une affiche d’alerte aux cyanobactéries plantée à la rampe de mise à l’eau nous a transpercée le cœur. Dès nos premiers coups de pagaie dans « NOTRE baie », nous avons constaté les dégâts. La végétation était envahissante, les poissons étaient difficiles à trouver et les algues bleu-vert bordaient la rive. La rivière avait mal.

Lors de notre dernier séjour au parc, du 1er au 5 octobre 2015… ce fut la consternation. La même affiche d’alerte aux cyanobactéries ne nous inspirait pas confiance. C’est avec appréhension que nous avons pagayé jusque dans la baie. Une fois rendus, mes yeux se sont gorgés de larmes. La baie était à l’agonie. La première moitié de la baie était anormalement remplie d’algues et les nénuphars, autrefois nombreux même à l’automne, se faisaient rares. Plus nous avancions dans la baie, plus le couvert végétal était épais. Dans la deuxième moitié de la baie, nous avions de la difficulté à faire avancer notre kayak. Les 3 pieds de profondeur étaient complètement remplis d’algues. La densité était si grande que la pêche y était impossible. Nous n’avions jamais vu autant de végétation.

Tout au long de notre séjour, l’agriculteur adjacent au plan d’eau a fait l’épandage de purin. La citerne, faisait des allers-retours en déversant des milliers de litres de liquide sur le terrain agricole (en pente vers la rivière). Je ne peux m’empêcher de penser que cet épandage doit avoir un effet direct avec la présence de cyanobactéries et la dégradation du plan d’eau. D’un côté de la baie, dans le parc, les utilisateurs font des prouesses pour minimiser leur empreinte écologique alors que de l’autre côté, le liquide de fumier animal est déversé à haut débit.

Je suis inquiet. Je suis triste. Je ne peux rester sans mot devant le plan d’eau qui se meurt sous mes yeux. Qu’un cours d’eau change et qu’il évolue avec le temps, c’est normal et compréhensible. Par contre, la vitesse à laquelle les changements se produisent à cet endroit précis m’apparait alarmant. Je sentais le besoin de vous faire part de mes observations puisque dans le mandat de conservation, de préservation, de protection et de sauvegarde des milieux naturels de la Sépaq, je me demande si l’eutrophie accélérée d’un milieu aquatique fait partie des enjeux et du plan de d’action pour la protection du milieu naturel.

J’espère que ce courriel permettra, à vous et à votre équipe, d’ajouter à vos propres observations visant à enrichir votre connaissance du milieu et ce, afin de faire face aux enjeux de conservation des plans d’eau et milieux humides du Parc National de Plaisance.

Vous trouverez en pièces jointes à ce courriel des photos de notre dernière visite au parc, soit du 1er au 5 octobre 2015.

Veuillez noter qu’au moment de vous faire parvenir ce courriel, pour sensibiliser mon entourage, je diffuse également cette lettre sur mon blogue personnel : www.lepoetecon.com.

Je vous souhaite un bel hiver.

Cordialement, un triste usager du Parc National de Plaisance.


Cette semaine, je lève mon verre d’eau à cette fragile et précieuse ressource qui nous appartient et dont nous devons préserver la richesse.

Cheers!

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